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Portrait de jeune chercheuse : Olivia Chambard !

Olivia Chambard est professeure agrégée en sciences sociales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse associée au CESSP et au CEET (Cnam). Elle a soutenu en 2017 à l’EHESS une thèse de sociologie consacrée à l’éducation à l’ « esprit d’entreprendre » dans l’enseignement supérieur.

  • Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce sujet ? Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur ce sujet et quelles ont été les conditions institutionnelles de réalisation de votre thèse ?

C’est dans le cadre d’un travail collectif initié par Michel Offerlé sur les mondes du patronat, que je me suis, au départ, intéressée aux engagements des représentants du monde économique au sein du monde éducatif. Occupant (avant et pendant ma thèse) un poste de PRAG en sciences sociales, j’avais eu l’occasion de repérer, sur les campus que je fréquentais, la diffusion croissante de la rhétorique de l’ « entrepreneuriat ».
Ma thèse a dès lors cherché à reconstituer les médiations à travers lesquelles s’était construit et se construisait sous mes yeux le projet éducatif consistant à vouloir socialiser les étudiants à l’esprit d’entreprendre, éduquer la jeunesse des grandes écoles mais aussi de plus en plus des universités à l’entrepreneuriat. A travers une approche socio-historique et ethnographique, il s’agissait d’en mettre au jour les sens sociaux et politiques. Une version remaniée de cette thèse est parue aux éditions La Découverte (collection Laboratoire des sciences sociales) en 2020, sous le titre Business Model. L’université nouveau laboratoire de l’idéologie entrepreneuriale.

  • Quels cadres théoriques avez-vous mobilisé pour aborder ces questions ? Comment mobilisez-vous la sociologie de l’éducation et de la formation dans votre travail ?

C’est armée de L’évolution pédagogique en France de Durkheim et de L’éthique protestante et le nouvel esprit du capitalisme de Weber que je suis entrée sur le terrain.
En enquêtant sur un phénomène déployé aux marges du système éducatif, à la fois médiatisé et mal connu (y compris des acteurs éducatifs eux-mêmes) et en tenant ensemble des dimensions généralement séparées dans l’analyse ‒ politiques éducatives, sociologie des curricula, suivi du parcours de jeunes diplômés ‒, mon pari a été de contribuer à renouveler la connaissance de l’enseignement supérieur et des transformations qui le bouleversent. Cela m’a conduit à mobiliser la sociologie de l’enseignement supérieur, qui a connu un certain essor ces dernières années, mais aussi la littérature classique de sociologie de l’éducation, qu’il s’agisse des travaux sur la pédagogie, la forme scolaire, ou encore sur les transformations de l’action publique éducative (multiplication des dispositifs, des partenariats, etc.). La sociologie que je pratique place au cœur de l’analyse les dispositions et les  pratiques des acteurs, qu’il s’est agi de reconstituer sur chaque scène sociale enquêtée.

  • Comment avez-vous enquêté sur ce terrain ? Quelles données mobilisez-vous ? Pouvez-vous nous présenter le déroulement de votre enquête ?

Si l’entrepreneuriat est loin d’être enseigné dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et si un tel impératif éducatif rencontre encore, au sein des écoles et des universités, de l’indifférence (surtout) et des résistances (parfois), force est de constater une tendance à l’accroissement continu du nombre de cursus diplômants spécialisés dans ce domaine (licences professionnelles, masters, mastères spécialisés) ainsi que la multiplication, notamment dans les universités, de dispositifs de sensibilisation et de formation des étudiants. La visibilité croissante dont bénéficie, depuis les années 2000 et plus encore depuis les années 2010, l’ « éducation à l’entrepreneuriat » au sein de l’espace public français comme international, indique un certain succès symbolique de cette cause. Face à ces premiers constats, il a fallu trouver le moyen d’appréhender sociologiquement ce qui ressemblait moins à un domaine d’enseignement ou à un domaine clairement délimité de la politique universitaire qu’à un mot d’ordre diffus.
Une première période de recherche exploratoire a permis de repérer les nombreuses occurrences de « l’entrepreneuriat » dans des espaces très divers (plaquettes de formation d’écoles ou d’universités, discours officiels du ministère, médias, salon des entrepreneurs, salons de l’enseignement supérieur, etc.) ainsi que ses incarnations dans des dispositifs d’action publique (de portée souvent limitée) ainsi que dans des dispositifs éducatifs (plutôt disparates).
La seconde période de la recherche a permis le déploiement systématique d’une démarche à la fois socio-historique et ethnographique, articulant méthodes qualitatives (archives, entretiens, observations participantes ou non) et quantitatives (questionnaire), afin d’enquêter dans les différents espaces dans lesquels se constituait le problème social de l’éducation à l’entrepreneuriat. Une hypothèse qui sous-tend ce travail est en effet qu’analyser la circulation de la notion d’entrepreneuriat entre les mondes économique et académique constitue un prisme pertinent pour étudier les enjeux de la redéfinition des relations entre ces deux espaces. Saisir pleinement ces processus de circulation supposait par conséquent d’analyser les propriétés de ceux qui circulent ; les modalités effectives de la circulation ; les pratiques, discursives et non discursives, des agents qui font office de passeurs ; les formes de mobilisations d’agents dans les deux univers en relation. Cette approche m’a conduit à enquêter au sein des institutions publiques (au niveau étatique mais aussi supra- et infranational), dans le monde patronal, dans les établissements d’enseignement supérieur eux-mêmes ; à interroger des hommes politiques, des hauts (et moyens) fonctionnaires, des chefs d’entreprise, des enseignants-chercheurs en gestion, des professionnels de l’insertion, des étudiants à l’université et dans des grandes écoles, etc.

  • Quels sont les résultats que vous tirez de cette enquête ?

Cette recherche montre, d’une part, comment certains espaces de l’enseignement supérieur se transforment sous l’effet de l’appropriation de cette nouvelle mission éducative et, d’autre part, comment le projet d’éduquer à l’entreprise se voit à son tour transformé par sa mise en forme scolaire et académique. L’installation d’un curriculum d’entrepreneuriat au sein de l’enseignement supérieur participe en effet d’une forme de délégitimation des valeurs scolaires et académiques au profit de celles de l’entreprise. Pour autant, si ces dispositifs contribuent à subvertir les pratiques académiques, ils ne ressortent pas eux-mêmes indemnes de leur établissement dans cet univers, qui n’est rendu possible qu’au prix d’une forme de mise aux normes académiques de l’entrepreneuriat.
Ce travail donne par ailleurs à voir comment l’acclimatation de l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur est rendue possible par la variété des usages dont il fait l’objet dans cet espace. L’enquête menée auprès du groupe des agents pédagogiques (universitaires, personnels administratifs, intervenants issus de l’entreprise) montre des acteurs qui s’approprient le projet d’éducation à l’entrepreneuriat, en fonction de leurs positions sociales et de leurs représentations personnelles, sans toutefois jamais modifier radicalement la signification d’un projet d’ « éducation au libéralisme » dont le cadre sémantique s’est cristallisé de longue date. A ces appropriations variées de la part des agents éducatifs répondent celles des publics étudiants de ces formations. L’aspiration entrepreneuriale peut être reliée chez eux à une critique de la condition salariale ou du fonctionnement des organisations bureaucratiques ou encore à une recherche d’épanouissement dans le travail. Mais si pour certains (les « petits » et « mal » diplômés), l’entrepreneuriat recèle avant tout l’espoir d’échapper au chômage ou au déclassement professionnel, c’est surtout pour les plus diplômés, qui bénéficient de nombreux appuis économiques et sociaux, que cette voie a le plus de chances de constituer une perspective avantageuse, permettant de combiner revenus confortables, autonomie dans le travail et image sociale valorisée. Mon travail insiste alors sur les inégalités sociales, face aux effets de l’endossement de la vocation entrepreneuriale par les jeunes.

  • Etes-vous engagée sur d’autres recherches en lien avec l’éducation et la formation ?

Je continue à suivre les parcours d’insertion de jeunes sortants de l’enseignement supérieur, qui sont passés par des dispositifs d’éducation à l’esprit d’entreprendre et qui pour certains tentent ou ont tenté d’ « entreprendre ». Cette recherche interroge notamment ces fameuses « soft skills », qui semblent prendre de plus en plus d’importance dans les formations supérieures, et les usages qui peuvent en être faits au moment de l’insertion professionnelle. J’envisage d’aller voir du côté des employeurs, qui sont souvent oubliés dans le cadre des travaux portant sur les relations entre formation et emploi. Il s’agit de ne pas couper la sociologie de l’éducation des autres champs de la sociologie et notamment de la sociologie du travail et de la sociologie politique.
Je suis également engagée dans une recherche collective portant sur l’enseignement de la sociologie en INSPE, un des chantiers du bureau du RT4. Enseignant moi-même en master MEEF (dans le cadre du master SES co-porté par l’université Paris 1 et l’INSPE de Paris), cette recherche est une opportunité de faire des liens entre ma pratique d’enseignante et de formatrice et les intérêts que je porte aux manières dont se transforment au fil du temps les curricula de l’enseignement supérieur.

Bibliographie personnelle

  • Chambard Olivia, Business model. L’université nouveau laboratoire de l’idéologie entrepreneurialeLa Découverte, collection « Laboratoire des Sciences sociales », 2020, 300 p.
  • Chambard Olivia (avec Stevens Hélène), 2021, « Les passeurs de l’entrepreneuriat à l’université », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 240, numéro 5, p. 58-77.
  • Chambard Olivia, 2021, « Un homme pressé. La « vocation entrepreneuriale » d’un étudiant des classes supérieures », La Nouvelle Revue du Travail, numéro 19, en ligne
  • Chambard Olivia, 2020, « “Faire sauter l’idée toute faite que l’Université est un lieu où on apprend”. La socialisation des étudiants à l’entrepreneuriat », Sociétés contemporaines, 120, p.41-69.

Page professionnelle

Pour citer cet article : « Portrait de jeune chercheuse: Olivia Chambard », Carnet hypothèses RT 4 Sociologie de l’éducation et de la formation, publié le 21/03/2022, URL : https://rt4.hypotheses.org/995


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Ruggero Iori (21 mars 2022). Portrait de jeune chercheuse : Olivia Chambard ! Sociologie de l’éducation et de la formation. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/tskr