Portrait de jeune chercheur : Mathieu Rossignol-Brunet !

Mathieu Rossignol-Brunet est post-doctorant en sociologie à mi-temps à Sciences Po Paris sur le projet « Réforme des admissions », à mi-temps à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès dans le cadre de l’évaluation du projet ACORDA conduit dans la région Occitanie. Il a soutenu en juin 2022 une thèse au CERTOP, à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, portant sur les aspirations et parcours d’études des admis en licence d’humanités.

1. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans ce sujet ? Comment en es-tu arrivé à travailler sur ce sujet et quelles ont été les conditions institutionnelles de réalisation de ta thèse ?

Mon sujet de thèse est en partie lié à l’ouverture des données administratives Admission Post-bac aux chercheur·ses par le SIES, le service statistique du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai alors voulu chercher à comprendre qui étaient les lycéens et lycéennes qui entamaient en masse des études dans des filières fortement dénigrées dans les discours, à savoir les licences en humanités : ces étudiants et étudiantes étaient-ils réellement là « faute de mieux » ?
Cette thématique de l’orientation et de la transition secondaire supérieure m’intéressaient déjà en master, puisque je m’étais alors intéressé à l’orientation en CPGE (Classes préparatoires aux Grandes Ecoles) Lettres et sciences humaines dans le cadre de mon mémoire, et que j’ai, entre le rendu de ce dernier et le début de ma thèse, occupé pendant un an le poste de chargé d’études sur la mission enseignement supérieur au rectorat de Paris. J’ai enfin obtenu un contrat doctoral au CERTOP (Université Toulouse Jean Jaurès) en 2017, ce qui m’a permis d’entamer ma recherche sous la direction de Philippe Lemistre et de Marianne Blanchard.

2. Quels cadres théoriques as-tu mobilisé pour aborder ces questions ? Comment mobilises-tu la sociologie de l’éducation et de la formation dans votre travail ?

Je suis dans un premier temps parti des travaux de Pierre Bourdieu, notamment La Distinction où il différencie les fractions économiques de celles culturelles au sein des classes supérieures. Dans les exploitations statistiques, les classes sociales restent encore trop souvent analysées de manière uniformes, d’où le parti dans mes analyses de différencier des fractions de classes. Pour autant, les travaux de Pierre Bourdieu sur les héritiers et la reproduction nécessitent d’être actualisés, d’une part car certaines dimensions (comme le genre) sont grandement laissées de côté, d’autre part car l’enseignement supérieur a depuis connu d’importantes transformations telles que les vagues de massifications successives. Aussi, les travaux plus récents de Sophie Orange sur les aspirations ou encore la soi-disante « crise de l’université » (avec Romuald Bodin) ont été mobilisés pour traiter de la question de l’orientation comme un processus de long terme, et notamment de la manière dont différentes contraintes à la fois sociales et scolaires s’exercent sur eux et délimitent leur champ des possibles. 

3. Pourrais-tu nous présenter le déroulement de ton enquête de terrain et les données sur lesquelles tu t’es appuyé ?

Ma thèse exploite principalement des matériaux quantitatifs, et en premier lieu la base nationale Admission Post bac pour l’année 2016, me permettant d’accéder aux vœux et propositions d’admission de plus de 530.000 candidat·es de terminale cette année-là. L’importance numérique de cette population m’a ainsi permis d’aborder la transition secondaire-supérieure en croisant entre elles les différentes dimensions sociales et scolaires. Ces données ont ensuite été appariées avec les données relatives aux inscriptions dans l’enseignement supérieur sur 3 ans, me permettant de suivre les parcours d’études en tenant également compte de l’ensemble des vœux qui avaient faits au moment de l’entrée dans le supérieur. D’autres bases de données, comme l’enquête Conditions de vie des étudiants de l’OVE, ont également été exploitées.
Pour autant, il me semblait important de combiner cette analyse plus quantitative avec des entretiens. J’ai pour cela réalisé mon terrain au sein de deux universités de l’académie de Toulouse proposant des formations dans ce secteur disciplinaire. En plus de quelques responsables de licences, une trentaine d’étudiants et étudiantes ont donc été interrogé·es à deux reprises, en début de première et de seconde année d’études, qu’ils et elles soient ou non encore inscrit·es dans ces formations, afin de mieux comprendre ce qui les a poussé·es à faire ce choix et quelles étaient leurs aspirations scolaires et/ou professionnelles.

4. Quels sont les résultats que tu tires de cette enquête ?

La recherche montre tout d’abord la place intermédiaire qu’occupent les licences en humanités dans le champ des formations d’enseignement supérieur post-bac. Elles n’accueillent ni les plus favorisés, ni les plus défavorisés socialement, et d’abord des filles, d’un niveau scolaire intermédiaire. Pour autant, bien que le public accueilli dans ces filières soit socialement et scolairement plus homogène que dans les autres secteurs disciplinaires, certaines disciplines apparaissent plus (lettres) ou moins (histoire) féminisées, plus (langues) ou moins (arts) ouvertes socialement.
Ensuite, la thèse montre que l’orientation en humanités est une orientation majoritairement souhaitée par celles et ceux qui y sont admis, même si l’on peut parler d’orientation contrariée  pour une partie d’entre eux. En outre, elle met également en évidence le début d’une segmentation horizontale entre les formations d’arts, lettres, langues et sciences humaines, illustrée par le développement des licences sélectives dont se saisissent les étudiants les plus favorisés socialement.
Enfin, l’analyse des parcours d’études permet tout d’abord de faire ressortir l’intérêt intellectuel des étudiant·es pour la formation, sans pour autant que les projets d’études ou professionnels (comme devenir enseignant·e) ne soient inexistants : la première année est bien souvent l’occasion de se familiariser avec l’institution universitaire pour ainsi confirmer ou infirmer les aspirations de terminale. Cela se matérialise par une forte diversité́ de parcours au cours des premières années d’études, où le fait d’avoir connu une orientation contrariée n’est pas sans incidence. Pour autant, une partie non négligeable de celles et ceux concernées connaissent ce que j’ai nommé une orientation retardée, à savoir parvenir à rejoindre une formation qu’ils aspiraient davantage à rejoindre lors de l’année de terminale. Ce résultat confirme alors le nécessaire rôle d’espace de régulation joué par l’université́ (mis notamment en évidence par Romuald Bodin, Sophie Orange et Mathias Millet), ainsi que la nécessité d’appréhender l’orientation sur le temps long.

5. Es-tu engagé aujourd’hui sur d’autres recherches en lien avec l’éducation et la formation ?

Je travaille actuellement à mi-temps sur deux projets de recherche, l’un en lien avec la réforme des admissions à Sciences Po, en compagnie de Marco Oberti et Alice Pavie ; l’autre sur l’évaluation d’un projet « cordées de la réussite » d’accompagnement à l’orientation mis en place dans l’académie de Toulouse. Parallèlement, j’ai également intégré une équipe de recherche conduite par Agnès Van Zanten qui s’intéresse aux admissions en licence de santé, et continue des recherches plus anciennes avec Leïla Frouillou sur les effets du passage d’Admission Post Bac à Parcoursup en termes de stratification socio-scolaire des public accueillis en licence de droit et d’histoire.

Page professionnelle de Mathieu Rossignol-Brunet

Bibliographie personnelle

• 2022 Mathieu Rossignol Brunet, Leïla Frouillou, Fanny Bugeja-Bloch et Marie-Paule Couto, Ce que masquent les « nouveaux publics » étudiants : les enjeux de la troisième massification de l’enseignement supérieur français, Lien social et politique
• 2022 Marco Oberti, Élise Tenret, Mathieu Rossignol Brunet, Pauline Barraud de Lagerie et Yannick Savina, L’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur au prisme des lycées d’origine. D’où viennent les étudiants de Sciences Po Paris et de l’Université Paris Dauphine?, Éducation et formation, 104, 5-32
• 2022, Mathieu Rossignol-Brunet, Faire ses humanités. Aspirations et entrée en études des admis en licence d’arts, lettres, langues et sciences humaines, Thèse de doctorat, Université Toulouse Jean Jaurès.
• 2022, Mathieu Rossignol-Brunet, La sélection à l’entrée à l’université, gage de poursuite d’études en Humanités? Comparaison entre licences sélectives et non sélectives, Formation Emploi, 158, 187-209.
• 2022, Mathieu Rossignol-Brunet, S’orienter en licence d’humanités. Les filières d’arts, lettres, langues et sciences humaines sont- elles réellement un choix de second rang ?, Éducation et formation, 103, 60-82.
• 2022, Mathieu Rossignol Brunet, Élise Tenret, Marco Oberti, Pauline Barraud de Lagerie et Yannick Savina Reconfiguration du champ des formations en sciences humaines en Île-de-France : le poids de la sélection, Éducation et formation, 103, 137-156.
• 2021, Mathieu Rossignol-Brunet, Entrer en sociologie. Profils et débuts de parcours des néo-bachelier·e·s admis·es en licence sur APB, Sociologos, 15.
• 2021, Marco Oberti, Élise Tenret, Mathieu Rossignol Brunet, Pauline Barraud de Lagerie et Yannick Savina, Analyse comparée des filières sélectives de l’enseignement supérieur en Île-de-France dans le domaine des sciences humaines et sociales : Paris Dauphine, Sciences Po, et licences sélectives, Rapport remis à la DEPP et au SIES.

Pour citer cet article : « Portrait de jeune chercheur : Mathieu Rossignol-Brunet », Carnet hypothèses RT 4 Sociologie de l’éducation et de la formation, publié le 1 février 2023, URL : https://rt4.hypotheses.org/1449

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